Frank QUESTEL
Médecin addictologue, praticien hospitalier

Hôpital Fernand Widal – Paris 10
ème

Président de Resalcog

On dénombre 1.5 millions d’alcoolo-dépendants en France. L’alcool est la 2 ème cause de mortalité évitable (après le tabac) avec 49 000 décès liés à l’alcool répertoriés en 2015 (source Santé Publique France). Les troubles cognitifs sont une complication fréquente. Leur prévalence chez les patients présentant un trouble de l’usage d’alcool est estimée entre 50 à 80 % pour les troubles légers à modérés et jusqu’à 10 % pour les troubles cognitifs sévères (COPAAH, 2014). Le nombre de personnes présentant des troubles cognitifs sévères liés à l’alcool (TCSLA) en France est estimé à au moins 60 000 et l’alcool semble être la première cause de troubles cognitifs précoces (avant 65 ans) (Schwarzinger et al., 2018). L’incidence peut être estimée à 600 à 900 nouveaux cas par an.

Ces chiffres  reflètent un problème de santé publique  dont la prise en compte par les professionnels de santé du champ des addictions est relativement récente. L’une des raisons est que les troubles cognitifs sévères liés à l’alcool sont à l’interface de plusieurs spécialités (neurologie, addictologie, psychiatrie) sans relever spécifiquement de l’une d’entre elles. L’isolement, la précarisation, les troubles du comportement et la perte d’autonomie qui caractérisent ces patients nécessitent des prises en charges complexes, coordonnées, multidisciplinaires, difficiles à formaliser. Très peu de structures d’accueil spécialisées  existent en France.  L’entrée dans le soin des patients avec TCSLA se fait souvent par les services d’urgences qui peinent à proposer une réponse adaptée (absence de filières de soin identifiées, réticence des services hospitaliers à prendre en charge ces patients complexes, pas de solution d’aval). Les patients et l’entourage, lorsqu’il existe, sont livrés à eux-mêmes.

Les connaissances scientifiques dans le domaine des troubles cognitifs liés à l’alcool sont relativement anciennes et la recherche dans ce domaine est peu développée. L’actualisation des connaissances est nécessaire pour améliorer la démarche diagnostique et la prise en charge. L’élaboration de programmes de remédiation cognitive spécifiques, adaptés aux atteintes cognitives, est notamment un objectif prioritaire. 

Dans ce contexte, le réseau associatif Resalcog, formalisé en 2015, a pour objectif de promouvoir et de formaliser une approche cohérente et coordonnée de patients présentant des troubles cognitifs sévères liés à l’alcool (TCSLA) en Ile de France, en favorisant la coopération entre structures de soin et d’accompagnement socialIl regroupe plusieurs structures du territoire Nord de Paris et de proche banlieue (92, 93, 95) (1) qui interviennent à différents temps de la prise en charge : sevrage, renutrition, rééducation fonctionnelle, remédiation cognitive, adaptation au handicap. 

Les prises en charge résidentielles se font sur plusieurs mois, voire plusieurs années mobilisant services d’addictologie de court séjour, hôpitaux de jour d’addictologie, soins de suite et de réadaptation et établissement médicosocial (MAS). Plus de 200 patients avec TCSLA ont été pris en charge à ce jour au sein du réseau avec des résultats encourageants en termes de récupération cognitive et d’autonomie.


Depuis 2016, l’association Resalcog organise une journée annuelle d’information et d’échanges à destination des professionnels intéressés par la problématique des personnes ayant des troubles cognitifs liés aux consommations d’alcool. Cette journée attire des professionnels du champ sanitaire et médicosocial  (médecins addictologues, psychiatres, psychologues, neuropsychologues, infirmières, travailleurs sociaux…). Elle est l’occasion d’échanges enrichissants qui alimentent des initiatives locales, de plus en plus nombreuses, sur l’ensemble du territoire national. La réforme en cours des SMR avec labellisation de SMR addictologiques « experts troubles cognitifs » par les autorités sanitaires (DGOS) devrait faciliter ces projets.

En espérant que l’association Resalcog suscite un intérêt pour cette problématique des TCSLA, stimule des initiatives, contribue à la mise en place de filières de soins sur l’ensemble du territoire national  et favorise des collaborations multiples.

Le chantier est énorme, ambitieux, vertueux et passionnant !

(1)   Service d’addictologie de l’hôpital Fernand Widal Paris 10, SSR addictologie René Muret Sevran (93), SSR polyvalent hôpital Gouin  Clichy (92), SSR addictologie Clinique des Épinettes Paris 17 ème, SSR addictologie Clinique du Parc Saint Ouen l’Aumône (95), service d’addictologie Corentin Celton Issy les Moulineaux (92), unité Serge Korsakoff (MAS) hôpital Nord 92 Villeneuve La Garenne (93)

Bibliographie

COPAAH, Groupe de travail du Collège Professionnel des Acteurs de l’Addictologie Hospitalière. Troubles de l’usage d’alcool et troubles cognitifs. Alcoologie et addictologie,2014;36(4) :335-373

Schwarzinger M, et al.; QalyDays Study Group. Contribution of alcohol use disorders to the burden of dementia in France 2008-13: a nationwide retrospective cohort study. Lancet Public Health. 2018 Mar;3(3):e124-e132.